Sans alarme et sans affliction
" A quoi faire nous allons-nous gendarmant par ces efforts de la science ? Regardons à terre les pauvres gens que nous y voyons épandus, la tête penchante après leur besogne, qui ne savent ni Aristote ni Caton, ni exemple, ni précepte; de ceux-là tire Nature tous les jours des effets de constance et de patience, plus purs et plus roides que ne sont ceux que nous étudions si curieusement en l'école. Combien en vois-je ordinairement, qui méconnaissent la pauvreté ? Combien qui désirent la mort, ou qui la passent sans alarme et sans affliction ? Celui-là qui fouit mon jardin, il a ce matin enterré son père ou son fils. Les noms mêmes de quoi ils appellent les maladies en adoucissent et amollissent l'âpreté; la phtisie, c'est la toux pour eux; la dysentie, dévoiement d'estomac; une pleurésie, c'est un morfondement; et selon qu'ils les nomment doucement, ils les supportent aussi. Elles sont bien grièves quand elles rompent leur travail ordinaire; ils ne s'alitent que pour mourir. « Simplex illa et aperta virtus in obscuram et solertem scientiam versa est.» [Cette vertu simple et accessible a été transformée en science obscure et subtile] " M. de Montaigne